Témoignage de cédant : « Faire confiance au repreneur ne va pas de soi »
Faire matcher les attentes, objectifs, visions, façons de faire du cédant et du repreneur n’est pas évident, en particulier dans une transmission hors cadre familial, à une personne non issue du milieu agricole qui veut transformer l’exploitation. Témoignage de Philippe, agriculteur à la retraite depuis peu.
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« Quand il m’a annoncé qu’il allait changer de production, ça a été un choc ! », raconte Philippe à propos de son repreneur. Des moutons, alors que lui était en productions végétales depuis son installation ! « Il pensait vivre avec 50 brebis ! », lance-t-il, d’autant qu’il « ne partait de rien, il était cadre dans l'industrie ».
Son témoignage au Space 2024 illustre le décalage qu’il peut y avoir entre les attentes, objectifs, visions, mais aussi façons de faire, de certains agriculteurs et de leur successeur, notamment dans les transmissions agricoles hors cadre familial à des Nima qui veulent vite faire évoluer la ferme.
Jusqu’à consulter des références sur la filière, contacter d’anciens maîtres de stage
Une source de tensions qui peut entacher les relations cédants/repreneurs, voire faire échouer la cession de l’exploitation. Ce n’est pas le cas ici mais des incompréhensions, des désaccords, des crispations, il y en a eu et il y en a encore. Philippe a du mal à faire confiance à son successeur et à lui laisser sa structure, et ce dernier à prendre sa place de chef d’exploitation. Avant la reprise, celui-ci a même passé un « interrogatoire » devant la mère de l’agriculteur et « a, heureusement, apporté les bonnes réponses ».
Chacun à sa juste place.
Le futur retraité s’est renseigné sur l’élevage ovin auprès des organismes de cette filière, des conseillers, jusqu’à consulter des références technico-économiques, les marges brutes. Il a même pris contact avec les anciens maîtres de stage de son repreneur. Et s’est rendu compte qu’il était « dans les clous » et « maîtrisait plutôt bien » la production ovine, la transformation du lait et la commercialisation des produits en découlant.
« Difficile à vivre si son projet capote »
« Je l'ai trouvé via le RDI (répertoire départ installation). Je ne connaissais rien de lui. Savoir si son projet est viable est essentiel. Ce serait difficile à vivre et à accepter que ça capote au bout de cinq ans. Je suis très attaché à ma ferme. » Comme beaucoup d’exploitants. Outre ce fort attachement, ils sont très sensibles au regard et au jugement des autres producteurs. Que vont penser mes voisins ? Philippe se pose souvent cette question. En dépend aussi « l’intégration du jeune agriculteur au sein du territoire », fait-il remarquer.
Que vont dire mes voisins agriculteurs ?
L’exploitant retraité a aussi du mal à admettre que son successeur rase un bâtiment qu’il avait construit lui-même. « Quand la pelleteuse est arrivée… C’est comme s’il détruisait mon outil de travail ! Il aurait pu garder le bâti et réaménager l’intérieur. » Au quotidien, sur l’exploitation, ce dernier « croit tout savoir » alors qu’il a « peu de connaissances », juge Philippe qui n’imaginait pas qu’il n’arriverait pas à conduire son vieux tracteur sans qu’il ait besoin de lui montrer.
Il faut une écoute réciproque
« Il faut prendre sur soi », témoigne-t-il sans pouvoir s’empêcher de donner son avis sur l’organisation du travail, les horaires, les prix de vente, etc. « Il me répond toujours « oui, oui » mais n’écoute pas les conseils et ne fait pas ce que je lui dis », reproche l’agriculteur qui finit par effectuer ces tâches ou travaux. « Vexé, il s’en charge au prochain coup », ajoute-t-il. Pas simple ni très sain comme mode de fonctionnement.
Dur de se convaincre que c’est maintenant son affaire !
Lui-même, est-il suffisamment à l’écoute et pédagogue ? Le conseille-t-il de manière explicite, sans le juger, lui détaille-t-il les consignes, lui fait-il voir les gestes ? Il n’y a ici que sa version. Philippe le reconnaît : « C’est dur de se convaincre que c’est maintenant son affaire, plus la mienne ! » Malgré l'accompagnement dont il a bénéficié pour la cession de sa structure et le suivi de formations ("préparer sa transmission et sa retraite" par exemple), il a fallu un travail de détachement pour avoir la bonne distance avec le repreneur, ce qui n'a pas été simple pour l'agriculteur.
Il n’a toutefois pas pu accéder au stage de parrainage, en raison du changement d’atelier. Donner de réels coups de main lui est donc difficile, sans couverture juridique et sociale en cas de problème.
Voilà un exemple qui prouve ô combien le processus de transmission est délicat pour les cédants, et les relations humaines avec le repreneur importantes et complexes. Et qui peut, peut-être, faire réfléchir les agriculteurs sur la posture et les attitudes à privilégier pour que le passage de relai se fasse le mieux possible.
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